• Parce que je suis allée le voir ce jour au Palais des Congrès, voilà l'article publié dans l'Express.

    L'Express du 03/05/2004
    Charles Aznavour
    Scènes d'une vie de bohème

    propos recueillis par Gilles Médioni

    Charles Aznavour est à l'affiche du Palais des congrès, à Paris. Avant son show, il a invité L'Express à le suivre. Balade en coulisses et en confidences

    «Qu'avons-nous fait de nos 20 ans?» s'interrogeait Aznavour dans l'une de ses rengaines, en 2000. Charles l'infatigable, l'insubmersible, l'indémodable aura bientôt quatre fois 20 ans, et ses chansons blessées, lucides et aveuglantes donnent une belle ivresse au palais des congrès de Paris, où il se produit jusqu'au 22 mai, jour de son anniversaire. «J'ai eu une vie amusante», juge-t-il au lendemain de l'un de ses tout premiers concerts dans la capitale, attablé devant un repas italien. «J'ai connu des hauts et pas mal de bas qui ont été des moteurs, parce que j'ai toujours cru en moi.»

    Il a un appétit d'oiseau et regarde avec malice et gravité ce siècle dernier qu'il a traversé en mythe de Pigalle à Broadway. «Mais je suis beaucoup plus fier de ma réussite d'homme et de mes quatre grands enfants que de ma carrière artistique. Même si je sens, à la manière dont les gens m'abordent, que j'ai la chance de mettre tout le monde d'accord. C'est si rare aujourd'hui, car le monde est si méchant.» Pour L'Express, c'est une exclusivité, Charles Aznavour nous fait entrer dans les coulisses de son spectacle. De sa mémoire aussi.

    © Thierry Dudoit-L'Express

    17 heures - «J'arrive généralement tôt au "théâtre".»
     
      
    Entrée de l'artiste
    «J'arrive généralement tôt au ''théâtre'', pour la balance [réglage du son].» Il est 17 heures, et Charles Aznavour, blue-jean de jeune homme, veste en velours marron, répète face à l'orchestre symphonique. La salle est illuminée, du monde va et vient sur le plateau, mais rien ne gêne le chanteur, qui marche en crabe et fronce parfois les sourcils: «Trop fort, la batterie! Mais qu'est-ce qui s'est passé?» L'ordre des chansons a changé deux jours avant la première. Aujourd'hui, tout est calé. Charles teste le départ de Ma jeunesse... «Après, on a quoi? Lisboa?» Il avance les mains dans les poches, tandis que les musiciens s'accordent. Pendant La Bohème, Aznavour chantonne, Aznavour rigole: «Moi qui criais famine et toi qui posais nue, et pas le contraire, comme ça m'est arrivé de le dire aux Etats-Unis. Heureusement, les spectateurs n'ont rien compris!» Il enchaîne avec Emmenez-moi - «où vous voudrez, lance-t-il, mais surtout dans ma loge». Et Charles disparaît.

    © Thierry Dudoit-L'Express

    17 h 30 - Essais d'arrangements au clavier électrique.
     
      
    Sa loge est un QG
    Il chante encore. Et, assis derrière son clavier, s'essaie à d'autres arrangements. Un album est en préparation. Aznavour peaufine des textes, pense à «un guide utile sur la façon d'aborder ce métier», écrit des nouvelles. «Je n'arrête jamais, commente-t-il. C'est un besoin physique.» Mille chansons ou presque forment une œuvre en or, mais l'éternel insatisfait récrirait bien quelques-uns de ses classiques. «Excepté Ma jeunesse et Hier encore, auxquels je ne toucherais pas. En revanche, il manque encore un mot ici, deux là, plus précis, nécessaires à l'équilibre de l'oreille.» La loge est sobre. Des télégrammes sont affichés aux murs, un peignoir est accroché au porte-manteau et, dans un coin, dorment une bouilloire, un paquet de petits-beurre. Deux fauteuils et un canapé de cuir font face à un téléviseur à écran plat. «Lors de chaque rentrée parisienne, une marque célèbre m'offre l'équipement complet: je suis ''coréennement'' gâté.»

    © Thierry Dudoit-L'Express

    18 h 30 - Pause télé. Jamais il ne rate C dans l'air.
     
      
    C'est déjà l'heure de C dans l'air, l'émission d'Yves Calvi, sur France 5, qu'Aznavour ne rate jamais et regarde ce soir en compagnie de sa grande sœur Aïda. Il commente le sujet du jour avec force. «Je suis apolitique, mais engagé, même si je n'en ai pas l'air.» Charles parle de cette France qu'il n'estime pas «raisonnable». «Le gouvernement devrait jouer cartes sur table et dire: ''Voici ce que nous possédons, ce que nous devons et ce que vous demandez.»» Un photographe montre des clichés sur lesquels Charles se trouve «triste, couillon... Tiens, là, je m'aime bien avec les yeux fermés. Je vieillis pas trop mal, non? Et sans maquillage. Jamais. Je n'ai rien à cacher». Un livreur apporte une bouteille de vin fin - les cadeaux varient peu. Avant le concert, il s'installe pour regarder les infos. Sans trac. «J'en avais lorsque le public ne venait pas spécialement pour me voir, à l'époque des cabarets.» Et demande le rapatriement d'un bouquet de roses chez lui avant qu'il se fane: «Il aura vécu ce que vivent les roses quand elles sont en fer forgé.» «Ce n'est pas de moi, ajoute-t-il, en glissant: Je ne suis pas un chanteur, mais une statue de pierre.»

    © Thierry Dudoit-L'Express

    20 h 40 - Première partie du spectacle.
     
      
    Sa vie en scène
    Costume noir, col de chemise ouvert, il entre en scène à 20 h 40, martial, chantant Autobiographie. La voix vient de loin. «Il en fallait bien une pour parler de l'Arménie, analyse-t-il. Ce n'est pas sans raison que je débute la première partie avec cette chanson et la seconde avec Les Emigrants, même si on me l'a souvent déconseillé. C'est Aznavour direct. Moi, je n'ai jamais fait profil bas. Je ne prends pas de faux-fuyants. Avant, on me jugeait sur ce que j'écrivais et chantais, et je crois avoir créé des avancées dans la chanson, notamment au moment d'Après l'amour et peut-être aujourd'hui avec Le Mort-Vivant. Si je l'avais chanté naguère, j'aurais été mort pour la profession.» Avec cette économie de gestes qui est un savoir-faire, il devient l'homo de Comme ils disent. Et conclut sur Je m'voyais déjà. La salle est debout.

    © Thierry Dudoit-L'Express

    21 h 30 - A l'entracte, le chanteur fait le point avec son équipe.
     
      
    Entracte et raccords
    Aznavour est déjà en train de réunir ses troupes en coulisses pour les rectifications. «Sur scène, je ne pense qu'à la scène. Une lumière ratée, une guitare trop forte... Alors, dès que le rideau est baissé, je fais une vérole. Moi qui ne crie jamais, j'explose.» Il organise donc une réunion avec son manager, Levon Sayan, le chef d'orchestre, le directeur de production, les musiciens... «On ne peut pas s'oublier un instant, c'est comme si on allait au front en laissant son casque.» Tous les jours, Charles perfectionne «le moindre détail et jusqu'à la dernière représentation, parce qu'[il] aime le travail bien fait». Le fauteuil qui trônait au milieu du plateau va disparaître: il lui coupait la scène...

    © Thierry Dudoit-L'Express

    22 h 30 - Je voyage, chanté en duo avec sa fille Katia.
     
      
    Spectacle, suite et fin
    «La seconde partie doit être une descente aux enfers, rien que des chansons coups de poing; en l'occurrence, Que c'est triste, Venise, Non, je n'ai rien oublié, Les Plaisirs démodés...» Et Je voyage, entonné avec sa fille Katia, qui est dans son cœur et dans ses chœurs. «Au début, j'étais plutôt contre ce duo, que j'aurais refusé il y a vingt ans. On m'aurait alors reproché de pousser Katia en avant. Cependant, elle a grandi, elle a pris des ailes. Lorsqu'on chante ensemble, je la regarde et je la juge, mais je ne lui dis rien: elle doit apprendre toute seule.» Sur La Bohème, Charles laisse glisser le mouchoir qu'il tenait. «Depuis toujours, c'est un rituel.» Après la dernière chanson, Nous nous reverrons un jour ou l'autre, il adresse au public un «Bonsoir, et que Dieu vous garde!».

    © Thierry Dudoit-L'Express

    23 h 10 - Applaudissements et rappel sur scène, à la fin du spectacle.
     
      
    Le rideau tombe
    «Je ne décompresse qu'une fois arrivé à la maison. J'avale un sandwich pas plus gros que la main, car, comme disait mon père en arménien: «Ce que l'on mange le soir est perdu.» Puis je prépare mes affaires pour le lendemain et je lis les livres que j'achète ou que je reçois, par ordre d'arrivée: Gabriel Garcia Marquez, Yves Simon, Azouz Begag. Ou je feuillette le Littré. J'ai découvert ainsi un mot retiré du Larousse: déconforter. Je suis tellement amoureux des mots que je les traque au fin fond du passé.» Ensuite Charles s'endort. Mais se réveille plusieurs fois durant la nuit. «J'écoute les infos à la radio, je partage, je subis. On ne peut pas rester étranger au monde dans lequel on vit et se penser en vedette. En tout cas, pas moi. C'est l'héritage arménien. Et je ne suis mécontent ni de notre passé ni de notre sensiblerie. Ma force vient de là.»


    Palais des congrès (Paris). Jusqu'au 22 mai. Et à partir du 3 septembre pour huit représentations.
    Dernier album: Je voyage (Capitol/EMI).
    Mémoires: Le Temps des avant (Flammarion).

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